À fleur de murs

D’où penser le partout et interpeller l’universel ailleurs qu’entre des murs qui n’enserrent rien ? En mai dernier, Émilie Picard présentait son travail récent à la galerie Bertrand Gillig dans l'exposition Émilie Picard & Guests – avec Karine Hoffman & Etienne Pottier – L’on pouvait y voir sa dernière série, Intramuros commencée lorsqu'elle était en résidence d’artiste à Moncontour (Côtes d’Armor) et qu'elle poursuit encore aujourd'hui.

L’environnement et le granit bretons lui ont inspiré un travail, tout en intuitions virevoltantes d’arrière-mondes et d’entropies à l’œuvre, sur les architectures précaires comme les maisons en carton et les maquettes – ils lui ont donné les briques fondamentales pour interroger puis desserrer les notions de décor, de leurre, de faux-semblant et de fac-similé :

J’ai travaillé à partir de ce que je voyais de mon atelier dont la fenêtre donnait sur une cour intérieure. Il y avait notamment cette vue sur ce château sculpté. J’ai aussitôt aimé cette vision du château dans le château (Moncontour est un village médiéval) et j’ai travaillé cette mise en abyme avec cette idée d'architectures ouvertes dans un espace cloisonnant et fermé. J’ai été sensible à cette omniprésence de murs et de remparts dans le village qui géométrisaient l'urbanisme et a fortement conditionné le regard que je portait sur mon environnement. Je m'en suis servie pour composer mes toiles où j'introduisais par ailleurs des citations d’autres peintures comme celles des fresques écaillées de la Villa Livia -nord de Rome- J'ai toujours en tête l'idée qu'une peinture se fait et se défait, la décrépitude des fresques antiques nous le rappelle.

Si l’une de ses toiles s’appelle Henriette, c’est en référence à une absente – celle dont l’adresse figure au verso d’une carte postale envoyée en 1918 et reproduite sur un mur à colombage comme à l’orée d’un récit sans romanesque suintant entre les interstices du visible.

Inspiré par Le fifre de Manet, l’unique portrait de l’exposition « Émilie Picard & Guests », celui d’un adolescent souffleur de verre mais également musicien dans une fanfare dont il arbore le costume chamarré, nous évoque la gestuelle mystique que l'on prête aux portraits de saints. Baptisé Le Souffleur, cette toile conte à sa manière ce qui, entre connaissance des références ou des systèmes de significations préexistants, exercice de style, intelligence du visible et grands écarts, détermine la construction d’une image inscrite dans la continuité des vivants effacés depuis les premières traces de quelques-uns d’entre eux sur une paroi originelle – mais les rétines sont bien repues depuis la flamme de la première torche éclairant un balbutiement d’âme...

Depuis un an, Émilie Picard délaisse quelque peu la « logique plastique » de la figure humaine, présente dans ses premières œuvres – mais pas la trébuchante condition humaine qui, toujours, saute à la face - pour investir d’autres espaces, interpréter d’autres partitions et créer d’autres représentations, nées du tremblé de ces miroitements sans issue, dressés par un travail imageant qui ordonne la toile comme on mettrait le couvert pour un banquet ou un papillonnement de sens sous un ciel aveugle...

Comment arracher des formes à la pâte imprécise et primordiale des choses, comment faire advenir des images pourvoyeuses de vertiges dans un tableau ? C’est peut-être en laissant résonner en elle jusqu’aux houles et aux silences de l’incréé ou de l’inouï que la jeune plasticienne en donne la traduction la plus palpable, taillée dans le vif - en rythmes irrépressibles et tournemains contant ce que le monde porte en lui de séparation ou, parfois, d’ouverture à juste ce qu’il faut d’inespéré, mots et pinceaux contre maux.