Emilie Picard

Beaucoup a été dit sur les objets qu’Émilie Picard accumule dans ses tableaux. Ces masques et plantes en déshérence, morceaux de décor, maquillages coulés et bricoles manufacturées à quatre sous sont des objets de simulacre. Des objets jetables, vaguement sentimentaux — dans un film américain ils auraient été gagnés à une fête foraine —, toujours est-il que l’artiste ne les jette pas. Elle les a conservés et, indubitablement, feint de s’en préoccuper. Il n’est pas tellement question de jeu mais plutôt de quelque chose qui ressemblerait à un théâtre de la mémoire. Ce faisant, elle joue à les aimer, à les dédaigner, à s’en moquer un peu. Elle en prend soin, les convoque du bout des lèvres telles des marionnettes prêtes à s’animer pour l’esprit battant le ressouvenir.

Ces objets s’accumulent dans les tableaux et, depuis 2015, sa peinture ne contient plus de présence humaine. 1 .Une seule chose est certaine, Émilie Picard dispose d’eux et, plus le temps passe, plus l’espace qui les contient se réduit. Dans les tableaux récents la profondeur s’amincit à tel point que le regard entre presque dans le mur. Les ombres portées se font plus franches et disent cette proximité avec le regardeur. Proximité ou intimité, à chacun de se poser la question.

Tableau après tableau, l’artiste construit un décor : portemanteau où viennent s’accrocher au fur et à mesure sens et symboles comme autant de vêtements prêts à servir de déguisement pour qui veut bien s’en saisir. Ce ballet est propre à la peinture, à la nuance près qu’Émilie Picard ne se contente pas de rejouer le simulacre habituel. En témoigne l’omniprésence de la lumière dans ses tableaux. Chez elle, le plein est à l’image de la matière, il est essentiellement constitué de vide. Ainsi, l’importance de la frontalité du tableau est mise en balance par les lacunes blanches que l’artiste laisse parcourir l’image et qui sont autant de déchirures à sa surface. Or, il ne s’agit pas à proprement parler de lacunes, mais bien de parties peintes que l’artiste retire dans un second temps. Elles sont autant de déchirures qui creusent l’image et mettent à jour une part de travail apparemment laissée de côté. Cet envers du décor est obtenu par un geste qui produit des pelures, elles-mêmes réutilisées dans une série de collages qui sont des nota bene des peintures.

Ce qui se joue dans cette présence de l’envers du décor est sa condition déceptive et festive à la fois. Le rideau se déchire et avec lui l’illusion qu’il porte. Tout ce que la peintre a patiemment choisi puis mis en scène s’ébranle : la profondeur des fissures qui parcourent l’image en annonce la chute. Couronne, pantin, palissade et colifichet vont s’écailler telle la peinture d’un portail brûlé par trop d’étés. Derrière, la lumière serpente. Implacable. Elle semble danser dans les entrailles de l’image. Elle dit la fête que se fait l’esprit à l’approche d’une part de vérité. Mais cette vérité, Émilie Picard n’en dit rien. C’est une vérité muette que l’artiste touche du bout des doigts en tournant le dos aux observateurs.