Painting Park

Drôles de figures que les champignons aux chapeaux orange ou vert, aussi grands que des buissons et pas vraiment placés au centre de l’image, qui apparaissent sur l’une des toiles d’Émilie Picard, La Cueillette. Étranges, aussi, les hérons qu’elle peint dans Aligator Baie et Attendre l’aube, un peu trop blancs, entreposés entre palissades et cabanes, comme en attente d’une mystérieuse activation et qui, remarque-t-on en y prêtant attention, se dressent non pas sur des pattes mais des supports métalliques. Ou encore ne manque pas de surprendre cette silhouette humaine emballée à la Christo dans un film plastique — L’Indien — son cheval, tout aussi figé, planté à ses côtés. Dans la série de six œuvres réalisées à Dompierre-sur-Besbre, les sujets choisis et la place qui leur est accordée dans les espaces picturaux conduisent à s’interroger sur la famille figurative à laquelle appartient Émilie Picard. Chez la jeune peintre, il semble bien que la fonction première des figures soit de se prêter au pouvoir de la « matière imageante ».1

Fréquentés par les artistes depuis leur invention,2 les Lunapark et autres utopies divertissantes offrent des modèles de pacotilles, désacralisés et colorés, à embellir ou massacrer à souhait, en tout cas à embarquer dans un projet aux préoccupations exclusivement picturales. À la fois mineurs et séduisants, ces sujets se font ambassadeurs de la peinture, tout en la laissant aller où elle veut. Que ce soit la grande roue peinte par Robert Delaunay dans L’Équipe de Cardiff (1913), les vues de Coney Island peintes durant les mêmes années par Josef Stella ou plus tard les pandas en peluche des stands de tirs dans les tableaux de Carole Benzaken à la foire du Trône (1996-97), les artistes s’emparent de ces objets inhabituels en peinture pour poursuivre leurs recherches sur les formes, les couleurs et les touches de pinceau. Il en va de même des artéfacts en plastique qui ornent l’environnement naturel du parc d’attraction et animalier auvergnat représentés sur les toiles d’Émilie Picard : ils sont le prétexte d’une vision synchroniques des différents stades d’accomplissement du travail pictural, depuis les parties blanches en réserve, les feuillages à peine esquissés jusqu’à certains détails scrupuleusement reproduits.

Ainsi, en prenant comme point de départ la promenade dans le parc et ses éléments de décoration, la peinture raconte sa propre histoire. À l’instar de ce qu’explique Ida Tursic et Wilfried Mille quant à leur manière de procéder, il s’agit avant tout « d’être attentif au développement interne de la peinture lors de sa production ».3 Comme le couple de peintres, Émilie Picard se distancie de ses sujets, notamment en travaillant à partir de photos qu’elle a prises dans le parc plutôt que de peindre sur le motif, afin de développer une peinture obéissant à ses propres nécessités. Elle aboutit de la sorte à des compositions complexes, avec des zones parfois hétérogènes comme des touches rapides stoppées par des lignes géométriques, assemblées par superposition de plans, telles des rideaux de scènes de théâtre ou encore des fenêtres successivement ouvertes sur un écran d’ordinateur.

Enfin, au sein de ces espaces, de nombreuses zones sont laissées en réserve, rappelant la présence, du néant précédant la création ou annonçant tout autant l’effacement de la couleur aux prises avec le destin entropique des choses. Mais ici tout se fait dans la joie de peindre qu’évoquent les couleurs acidulées. Car les peintures d’Émilie Picard plaident en faveur de la peinture comme espace de réconfort et transfigurent le parc d’attraction en un lieu réellement enchanté. Au-delà de la littéralité, les figures qu’elle représente fêtent la puissance de la peinture: comment au sortir du tube, grâce à des pinceaux, des scotchs et une surface plane, elle en vient à faire image.