Peinture en résidence

La peinture d’Émilie Picard est intimement liée au sujet des apparences et de la représentation. Elle cherche sous les masques, les apparats, les supercheries, une vérité, comme lorsqu’elle examine décors de théâtre, tapisseries, figurines géantes peuplant un parc d’attraction. À l’inverse, elle triture le réel, le soi-disant « normal » – intérieurs, paysages - pour en faire des leurres séduisants cachant sous leurs atouts chamarrés des doubles sens plus complexes et plus fuyants, des triples sens, plus si affinité. Au delà des sujets de la peinture, la peinture elle-même, comme médium, est explorée avec gourmandise, avec sensualité. Couleurs, effets de textures, traces laissées par le geste comme une extension de celui-ci, nous emportent et emportent sans doute aussi notre artiste, en un tourbillon passionnel. La peinture affirme sa liberté : si elle investit la toile, elle ne semble pas décidée à y demeurer. Il faut donc qu’elle circule, qu’elle gicle, qu’elle coule, qu’elle se refuse en somme à se figer. Des blancs subsistent toujours, trouées de lumière crue empêchant la saturation de l’espace par les couleurs vives. Ces plages de blanc nous disent aussi que si l’œuvre raconte des histoires, il subsiste des parts de non-dits, des morceaux nous échappant à jamais pour préserver le doute.

Pendant le temps de sa résidence artistique de plusieurs mois à Dompierre-sur-Bresbre, Émilie Picard a choisi de prendre possession d’un parc zoologique et d’attraction local. Celui-ci était alors fermé pour l’hiver et donc vide de visiteurs. Seule avec les éléments de décors factices du parc (champignons géants, hérons sur pattes métalliques, indien emballé dans du plastique en attendant l’été, orgue de barbarie faussement ancien…) Émilie a réveillé les objets éteints, elle les a enchanté avec beaucoup de couleurs et de lumière pour faire vivre à plein ce monde d’illusion. Peindre des objets peints sied parfaitement à son art, qui ne puise ses motifs dans le réel que pour rendre criants les artifices de la représentation. En invitée spéciale dans un territoire fermé, Émilie Picard nous fait croire à un espace ouvert, où les arbres, le ciel, le sol herbeux, créent l’ambiance de sous-bois, de clairières, de savanes. L’idée d’un monde comme un décor de théâtre se voit renforcée par le peu de perspective, la succession de plans relativement plats qui semblent placés les uns derrière les autres par simple collage. Protégé par un film plastique pendant la période hivernale, l’indien du parc d’attraction prend des allures fantomatiques. Son visage est enfermé, comme asphyxié, son corps contraint ne pourra pas se libérer. Près de lui et tout aussi faux, le cheval est figé. Ce qui apparaît vivant dans cette scène, c’est en fait la nature, ainsi que les touches de peinture dansantes et débridées d’Émilie Picard.

Amorcée lors d’une autre résidence artistique, à Moncontour en Côtes-d’Armor, la série « Intramuros » interroge plus particulièrement la notion d’espace. Dans ce village médiéval, ceint de remparts massifs, les murs de granit sont omniprésents et dessinent un urbanisme sinueux et enfermant. On a le sentiment que chaque espace en contient un autre. L’atelier de l’artiste était lui même enclavé dans une cour intérieure et c’est de cette cour qu’elle photographiait les sujets qu’elle réinterprétait ensuite sur la toile. Le mur, qu’il soit de pierre où à colombages se pose dans cette série comme motif récurrent, à la fois enveloppe et surface, contenant et contenu. La peinture entretient également un lien avec cette idée et l’artiste se joue des espaces picturaux dans une perpétuelle mise en abîme. 
Une fois n’est pas coutume, Émilie Picard aime peindre la peinture elle-même : ici, peindre une cabane peinte par des enfants. Mais toujours, la peinture est mise en danger, vulnérable, promise à une fin probable dans la décomposition. Les couleurs vives apposées par les enfants restent flottantes, elles ne prennent pas le dessus sur le blanc de la toile préservé qui agit comme un rongeant. Derrière, le crépi peint du mur se désagrège. Le lieu apparaît contraint par des murs, bâches, palissades. Mais il est offert à notre œil de se débattre, de tenter de fuir par les nombreux trous des différentes surfaces. Serions nous dans la cabane, nous pourrions en sortir par le toit. Tout fait duel et en tant que spectateur il nous revient de décider de notre sort. L’espoir est toujours permis et conseillé, comme le suggère modestement cette tentative de petite forêt en bâtons plantés, devant la cabane.