Vendange tardive

À la première lecture, les peintures d’Émilie Picard sont séduisantes. Pourtant, l’artiste brouille les pistes d’une catégorisation, et notamment réfute tout attachement au monde du conte, à l’imaginaire de l’enfance. L’ambiance pastel, la lumière douce qui éclaire la composition, le dessin des objets sont autant de qualités qui définissent l’attraction.

Tout devrait nous attacher à la joie du monde. Et pourtant, les compositions d’Émilie Picard décrivent un espace chaotique. Un espace en cours de déménagement où les objets sont posés, articulés les uns aux autres, au sein d’un paysage souvent semblable, de végétaux et de fonds colorés irisés, le tout liant la scène. On pourrait y déceler un décor en construction. Loin de cela, l’artiste représente un monde indiscernable, au décor animé, une mise en scène d’un univers imaginé à la façon d’une tapisserie. Les objets paraissent liés par des fils. Fils de la composition, de la facture, de la couleur, qui spécifient l’unité des œuvres, auxquelles s’adjoint un jeu de tons chauds et froids délicatement agencés.

Dans La misère étendue,1 une des dernières peintures, le monde parait en phase de détérioration. Une sorte de chrysalide recouvre subtilement l’image. Derrière sa facture, proche d’un crayonné multicolore, les fissures apparaissent depuis peu sur les toiles. Elles en sont parcourues, fissures à l’aspect colmatées. Comme si elles avaient surgi après la peinture ; crevasses de peinture en rétractation. À cela s’ajoute un effet de glissement, de suspension. L’univers se délite. Le délitement d’une mythologie contemporaine, tout aussi complexe que l’antique, à la différence que cette dernière relatait les liens entre les êtres, alors que la notre délaye nos rapports à nous même et aux objets.

Dans Papillon de lumière et Le rêve de Joachim,2 le squelette rejoint l’épouvantail dans sa dimension résiduel ; résidu de la consommation en charge d’épouvanter l’intrus, résidu du corps en charge de repousser la mort. Les deux sont ici parés d’attributs d’influence, que se soit le chapeau ou le cigare. Ils sont ainsi les éléments défroqués d’une humanité à bout de souffle, rongée par sa puissance sur une terre saturée d’objets.

La saturation est telle que le vivant est fantomatique, un simple souvenir suspendu, ou un dessin quasi pariétal. Fantôme totémique dans Bâtons rompus, et La peine d’humour,3 ou bien souvenir sculpté dans Pic et pêches. L’esprit de la caverne tend l’ensemble, par l’effet miroir de toiles dans la toile, structurant des espaces internes, comme si le monde d’Émilie Picard n’était que le reflet de son image et l’ombre de nous même. Le monde est ainsi fait chez Émilie Picard.